Dans un rapport sur les violences à l’encontre des professionnels de santé remis au Ministre de la Santé et de la Prévention et à la Ministre de l’Organisation territoriale et des Professions de santé le 8 juin 2023, le Docteur Jean-Christophe MASSERON, Président de SOS Médecins France, et Madame Nathalie NION, Cadre Supérieure de Santé à l’APHP, font le constat d’une violence croissante à l’encontre du personnel soignant et pourtant sous-évaluée, formulant 44 propositions pour des soins en sécurité.
De son côté l’Ordre Infirmier conclue également à une violence sous-évaluée au sein de la profession infirmière au terme de sa propre consultation, dont il ressort par ailleurs que 38% des infirmiers victimes ou témoins n’ont effectué aucune démarche après une violence car ils estimaient :
- Pour 43% qu’elle n’aboutirait pas,
- Pour 34% qu’elle serait inutile,
- Pour 34% qu’elle ne serait pas soutenue.
De notre côté, nous sommes de plus en plus sollicités par des infirmières et infirmiers libéraux victimes d’actes de violences, qui ont bien souvent du mal à faire le tri entre leurs droits en tant que victime et leurs obligations en tant que soignant.
Nous avons donc fait le choix de présenter cet article comme une sorte de vademecum, afin d’aider chaque IDEL à savoir comment réagir face à ces situations, et surtout à convaincre tout infirmière ou infirmier de se faire accompagner dans ses démarches.
I. Les principaux actes pénalement répréhensibles dont les IDEL peuvent être victimes
Il existe de multiples infractions pénales potentielles. Nous n’avons sélectionné que les plus fréquemment rencontrées mais qui n’ont pas de caractère exhaustif.
Les violences : Article 222-7 et suivants du Code Pénal
Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (art. 222-13 C. Pénal).
Il s’agit de la peine normalement prévue pour les violences ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours, mas la peine est ici aggravée dans la mesure où elle est commise sur un professionnel de santé dans l’exercice de ses fonctions.
Lorsque l’ITT est supérieure à 8 jours, la peine est de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, là aussi du fait de la qualité de professionnel de santé (art. 222-12 C. Pénal).
La menace : Article 222-18 du Code Pénal
La menace, par quelque moyen que ce soit, de commettre un crime ou un délit contre les personnes, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, lorsqu’elle est faite avec l’ordre de remplir une condition.
La peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende s’il s’agit d’une menace de mort.
Précisons que le fait d’user de menaces, de violences ou de commettre tout autre acte d’intimidation pour obtenir de l’infirmière qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission qu’elle abuse de son autorité vraie ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable constitue une infraction aggravée portant la peine à 10 ans d’emprisonnement et 150.000 € d’amende.
Le harcèlement : Article 222-33-2-2 du Code Pénal
Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail.
L’infraction est également constituée :
a) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;
b) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.
Les faits mentionnés aux premier à quatrième alinéas sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30000€ d’amende :
1° Lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;
2° Lorsqu’ils ont été commis sur un mineur ;
3° Lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4° Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ;
5° Lorsqu’un mineur était présent et y a assisté.
Les faits mentionnés aux premier à quatrième alinéas sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45000€ d’amende lorsqu’ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 5°.
L’injure et la diffamation
Elles sont définies par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et la sanction varie en fonction du caractère publique, non-publique ou encore discriminatoire.
Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.
La dégradation de bien : Article 322-1 du Code Pénal
I. – La destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger.
II. – Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général lorsqu’il n’en est résulté qu’un dommage léger.
Le fait de rayer la voiture de l’IDEL ou d’abîmer sa plaque professionnelle par exemple justifie donc le dépôt d’une plainte et le prononcé d’une sanction pénale.
II. Face à un patient menaçant, injurieux ou violent, est-ce que l’IDEL peut arrêter les soins ?
La préoccupation qui nous remonte le plus fréquemment est celle de savoir s’il est possible d’arrêter les soins d’un patient qui se serait montré violent. Les IDEL ont en effet bien ancré en tête le principe de continuité des soins inscrit à l’article R. 4312-12 du Code de la Santé Publique, selon lequel « dès lors qu’il a accepté d’effectuer des soins, l’infirmier est tenu d’en assurer la continuité » et qui proscrit la rupture brutale de la relation de soins.
La continuité des soins est une obligation déontologique. Cela signifie que sa violation serait sanctionnée par une Chambre Disciplinaire, saisie d’une plainte déposée par un patient. Au regard de l’engagement fort exprimé par l’Ordre Infirmier, qui affirme une « tolérance zéro », il serait très surprenant qu’un infirmier se voit reprocher de ne pas avoir poursuivi les soins d’un patient au péril de sa propre sécurité. Au contraire, l’Ordre confirme qu’en cas de danger imminent il convient de se retirer des soins.
Reste toutefois à éclaircir ce que l’Ordre Infirmier entend par « danger imminent »…
La sanction de l’arrêt des soins pourrait éventuellement s’envisager sur le terrain de la non-assistance à personne en péril, infraction pénale prévue par l’article 223-6 du Code Pénal. Or, l’infraction, ici sanctionnée par un Tribunal Correctionnel, n’est pas constituée lorsqu’il existait un risque pour l’infirmière. En d’autres termes, si prodiguer ses soins représente un risque pour l’IDEL et qu’elle s’en abstient, elle ne peut être condamnée pour non-assistance à personne en péril.
Dans tous les cas, il est primordial ensuite de déposer plainte auprès des services de Police ou de Gendarmerie pour les faits dont l’IDEL a fait l’objet, et de les signaler à l’Ordre Infirmier.
III. Concrètement, comment réagir face à un patient violent, menaçant ou harcelant ?
Face à un patient menaçant, harcelant ou violent, il est évidemment fondamental que l’infirmier se protège, ce qui implique de mettre un terme à la relation de soin.
Par principe, la rupture de la prise en charge suppose :
- D’informer oralement le patient en lui en expliquant les raisons : Compte-tenu des circonstances, cette étape ne sera pas toujours possible. Il vous faut donc faire au mieux en fonction des circonstances, afin de préserver votre sécurité avant tout.
- De réitérer vos explications concernant la rupture de la prise en charge par écrit, et l’envoyer en LRAR au patient : Vous pouvez respecter cette étape, en veillant à ne pas y indiquer vos coordonnées personnelles.
- D’informer le médecin traitant : Cette étape est importante, le médecin traitant pouvant en outre être mis au fait des raisons pour lesquelles vous cessez immédiatement les soins, afin de se faire le relai de la prise en charge.
- De laisser au patient un préavis suffisant pour trouver un autre cabinet : dans le cas d’un patient violent ou dont les agissements mettent votre intégrité en danger, le préavis ne sera pas respecté.
Quel que soit l’acte subi (verbale, physique, menace, harcèlement….), il est primordial :
- D’informer le Conseil Départemental de l’Ordre, qui dispose d’un référent violence pouvant vous porter rapidement assistance, y compris dans la prise en charge du patient afin de vous libérer d’une problématique anxiogène,
- Signaler auprès de l’Ordre National des Infirmiers l’acte de violence dont vous avez été victime (même violence verbale)
- Se rendre chez un médecin ou à l’hôpital afin de faire constater ses blessures (physiques ou psychologiques) et déterminer une ITT qui permet de déterminer la gravité de l’infraction.
- Déposer une plainte pénale auprès du Commissariat de Police ou de la Gendarmerie (attention, une main courante ne suffit pas), ou par le biais d’un Avocat qui l’adressera au Procureur de la République. Il est à noter que dans cette hypothèse l’avocat permettra de rédiger les faits et de qualifier les infractions commises.
Durant l’enquête et jusqu’au jour de l’audience devant le Tribunal la victime (l’IDEL) pourra se constituer Partie Civile. Ce statut lui offre la possibilité d’être reconnu en tant que victime, d’obtenir réparation de ses préjudices (moral, matériel, d’image…) mais également de demander des mesures permettant d’assurer sa sécurité telles qu’une ordonnance d’éloignement interdisant au condamné d’entrer en contact avec l’IDEL son entourage et de se trouver sur un territoire déterminé. Cette ordonnance peut même être obtenue dès après l’acte de violence, y compris s’il ne s’agit que de menace, de sorte à prévenir une potentielle agression ou un acte plus grave.
Selon la dangerosité du condamné, le Juge peut même munir l’IDEL du « Téléphone Grave Danger » afin de prévenir les forces de Police les plus proches. Ce dispositif s’adresse généralement aux patients les plus dangereux, souvent issus de parcours psychiatriques et ne prenant pas la mesure de leur dangerosité.
Notre pratique d’avocats nous montre malheureusement la violence sous toutes ses formes est une réalité quotidienne pour les IDEL. Afin de bénéficier de mesures de protection efficaces, nos avocats spécialistes vous accompagnent dans toutes vos démarches, et vous conseillent dès que vous en ressentez le besoin. Contactez-nous.