L’année 2019 et le début d’année 2020 auront été l’occasion, pour la jurisprudence, de reprendre les contours du préjudice d’anxiété. Initialement, ce préjudice d’anxiété consistait en la situation d’inquiétude permanente de développer à tout moment une maladie liée à une exposition à une substance toxique : l’amiante. Depuis quelques mois, la Cour de Cassation a élargi le champ indemnitaire en accordant des dommages et intérêts en réparation de préjudices d’anxiété suite à des expositions à d’autres substances nocives.

Amiante et préjudice d’anxiété

Face à la découverte des méfaits potentiels d’une exposition à l’amiante, la loi du 23 décembre 1998 a créé un régime spécifique de retraite anticipée, réservée aux salariés ayant travaillé dans certaines entreprises listées dans un arrêté ministériel. La jurisprudence a alors admis l’indemnisation du préjudice d’anxiété aux salariés pouvant prétendre à ce régime spécifique, et ce sans qu’il soit nécessaire de démontrer un manquement de la part de l’employeur, ou de prouver leur sentiment d’anxiété (Cass. Soc., 2 avr. 2014, n° 12-28.616 et n° 12-29.825).

En revanche, la jurisprudence refusait l’indemnisation du préjudice d’anxiété à tous les salariés ne rentrant pas dans le champ du régime dérogatoire instauré par la loi du 23 décembre 1998 (Cass. Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241). Ainsi, les salariés exposés à une autre substance potentiellement toxique notamment n’étaient pas admis au bénéfice de la réparation d’un préjudice d’anxiété, (Cass. Soc., 26 avr. 2017, nº 15-19.037 ; Cass. Soc., 27 janv. 2016, n° 15-10.640).

Un premier élargissement interviendra le 5 avril 2019, la Cour de Cassation admettant que des salariés n’ayant pas travaillé au sein de l’une des entreprises concernées par la loi du 23 décembre 1998 puissent obtenir réparation de leur préjudice d’anxiété (Cass. Ass. Plén., 5 avril 2019, nº 18-17.442). Cette décision se base alors sur l’obligation générale de sécurité incombant à l’employeur et a permis à de nombreux salariés d’obtenir réparation. Le 11 septembre 2019, la Cour de Cassation admettra ainsi l’indemnisation de 39 salariés de la société SNCF mobilités et 17 salariés de la Société Nationale Maritime Corse Méditerranée (SNCM) qui, bien qu’ayant été exposés à l’amiante ne remplissaient pas les dispositions de la loi du 23 décembre 1998.

Si la Cour de Cassation consacre ainsi un élargissement indéniable du champ d’indemnisation, celui-ci demeure toutefois circonscrit à l’exposition à l’amiante, et suppose la démonstration par le salarié d’un manquement de l’employeur et de la réalité de l’anxiété subséquente. Si l’employeur prouve qu’il a pris les mesures préventives appropriées ou que le salarié n’apporte pas la preuve de son sentiment d’angoisse, la demande d’indemnisation ne peut prospérer (Cass. Soc., 25 nov. 2015, n° 14-24.444).

Elargissement à d’autres substances nocives ou toxiques

Le 11 septembre 2019, la Cour de Cassation élargira encore le champ indemnitaire en accordant la réparation de leur préjudice d’anxiété à 730 mineurs de fond qui poursuivaient leur employeur au titre de leur préjudice d’anxiété (Cass. Soc., 11 septembre 2019, nº 17-24.879). La Cour de Cassation ne circonscrit dès lors plus l’indemnisation à l’exposition à l’amiante, mais l’admet au titre de l’exposition à toute substance nocive ou toxique génératrice d’un risque de développer une pathologie grave sous réserve que le salarié prouve la toxicité et le risque subséquent, et que l’employeur n’a pas pris les mesures préventives adéquates (articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du Travail).

Comment dater le début du préjudice ?

Demeurait néanmoins la question de la prescription. En effet, à quelle date doit-on fixer la naissance du préjudice d’anxiété ? Du temps où l’indemnisation était réservée aux salariés pouvant bénéficier du régime de pré-retraite instauré par la loi du 23 décembre 1998, le pont de départ du préjudice (et donc du délai de prescription) était fixé au jour de l’inscription de l’entreprise employeur sur la liste fixée par arrêté ministériel (Cass. Soc., 2 juill. 2014, n° 12-29.788). Mais, la jurisprudence ne limitant l’action réparatrice à ce champ particulier, il était permis de se demander si le délai de prescription débutait, par exemple, au jour de l’exposition à la substance ce qui pouvait toutefois générer des situations particulièrement injustes dans la mesure ou la toxicité d’une substance (et en témoigne le cas de l’amiante !) peut être découverte bien après que des salariés y aient été exposés. Or, le délai de prescription étant de 5 ans, une telle solution aurait pu priver bon nombre de salariés d’une potentielle indemnisation.
La Cour de Cassation, dans un arrêt du 29 janvier 2020, vient de répondre à cette question en précisant que le délai de prescription débute au jour où le salarié à eu connaissance du risque générateur de son anxiété (Cass. Soc., 29 janvier 2020, n° 18-15.388).

Dommages et intérêts au titre d’un préjudice d’anxiété pour une exposition à toute substance nocive ou toxique

L’élargissement conséquent du champ d’indemnisation entamé par la Cour de Cassation en 2019 ouvre donc la voie aux demandes de dommages et intérêts formulées au titre de leur préjudice moral d’anxiété par des salariés de toute branche, et ayant été exposé à toute substance nocive ou toxique.

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