L’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclame en son article 11 que :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »
La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme affirme quant à elle que :
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. »
Quelle que soit sa profession, toute personne jouit donc de la liberté d’expression. Néanmoins, infirmières, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, médecins, et autres professionnels de santé peuvent voir leur liberté limitée dans le cadre de leur exercice.
I. La garantie de la liberté d’expression des professionnels de santé
La liberté d’expression et de critique
La liberté d’expression est garantie par les textes fondamentaux tels que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC – article 11), ou encore la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH – article 10). Ces textes ont vocation à s’appliquer à toute personne, sans distinction, notamment en considération de sa profession.
La Cour d’Appel de Paris a également rappelé récemment que la liberté d’expression inclut le droit de libre critique. La responsabilité de l’auteur de propos litigieux doit ainsi s’apprécier strictement (CA PARIS 31 janvier 2024 n°23/06084).
La protection des lanceurs d’alerte
Au terme de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, un lanceur d’alerte se définit comme :
« une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. Lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de l’article 8, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance. »
Les membres des professions règlementées disposent d’une procédure spécifique auprès de leur Ordre, à même de recevoir leur signalement lorsque celui-ci entre dans son champ de compétence spécifique.
Par exemple, les IDEL peuvent adresser leur signalement auprès du Conseil National de l’Ordre Infirmier.
Les KINEL peuvent en faire de même auprès du CNOMK.
L’Ordre décidera de la suite à donner au signalement, et en cas de reconnaissance d’un cas de lanceur d’alerte, le professionnel concerné bénéficiera de cette protection spécifique, notamment des mesures de protection et une irresponsabilité civile et pénale.
II. Les limites à la liberté d’expression des professionnels de santé
Bien qu’il s’agisse d’une liberté fondamentale, la liberté d’expression n’est pas absolue, et se trouve limitée notamment par la déontologie des professionnels de santé.
Le secret professionnel
Toutes les professions de santé règlementées partagent l’obligation de respecter le secret professionnel, qui est prévue à l’article L. 1110-4 du code de la santé publique :
« I.-Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d’exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. »
Les différents codes de déontologie le rappellent également, à l’instar du Code de Déontologie des Infirmiers en son article 5, ou encore à l’article L. 4323-3 du Code de la Santé publique s’agissant des kiné.
Le secret professionnel est général et absolu, de sorte qu’y manque l’IDEL qui laisse sa fille assister aux séances de soins pour l’aider dans la préparation de son examen d’aide-soignante, alors que celle-ci n’est pas couverte par une convention de stage, et ce même si les patients y ont consenti (CDPI Aquitaine, 7 avril 2017, n° 24-2016-00054).
Le masseur kinésithérapeute qui transmet le dossier médical d’une patiente à son dentiste sans l’accord de celle-ci y contrevient également (CDPI, 29 mars 2022, n°2020/34-021).
La déconsidération de la profession
Bien qu’il bénéficie d’un droit de critique, le professionnel de santé doit se montrer prudent dans ses communications publiques, et dans son comportement en général en ce compris sa vie privée, afin de ne pas porter atteinte à la considération de sa profession.
Le Code de Déontologie Infirmier souligne ainsi (art. R. 4312-9 du Code de la Santé Publique) que :
« L’infirmier s’abstient, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci.
En particulier, dans toute communication publique, il fait preuve de prudence dans ses propos et ne mentionne son appartenance à la profession qu’avec circonspection. »
La condamnation d’une IDEL pour un indu lié à des actes fictifs peut constituer un acte déconsidérant pour la profession (CDPI Hauts de France, 5 mai 2019, n° 59-2016-00075), tout comme la violation du secret professionnel (CE, 29 décembre 2000, n° 211240 – appliqué aux masseurs kinésithérapeutes par CDN n°038-2015).
Dans la profession de Masseurs-Kinésithérapeutes, c’est l’article 4321-79 du code de la santé publique qui prévoit que :
« Le masseur-kinésithérapeute s’abstient, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci ».
La poursuite de l’activité en dépit d’une interdiction d’exercer (CDN n° 008-2015 – appliqué aux IDEL par CE, 27 janv. 2016, n° 383514), ou encore des relations sexuelles consenties avec une patiente au sein du local professionnel (CDN n°012-2015) sont de nature à déconsidérer la profession et justifient une sanction disciplinaire.
La prudence est donc de mise, bien qu’elle n’annihile pas toute liberté d’expression au professionnel de santé. Une pétition peut ainsi être diffusée, sous réserve que son contenu demeure prudent, ce qui sera nécessairement apprécié au cas par cas.
N’est pas non plus de nature à déconsidérer la profession un manque de politesse à l’égard d’un confrère, en ces termes (CDN 27 décembre 2018 n°030-2017) :
« Considérant que les propos déplacés relatés ci-dessus ont été émis par M. V. à l’occasion d’une unique altercation avec le requérant, qui lui a répondu sur le même ton, ainsi que dans le cadre d’une réunion organisée pour permettre à chacun des protagonistes de s’exprimer franchement afin de tenter de parvenir à une normalisation de leurs relations ; que l’expression par M. V. de son ressenti à l’occasion de cette réunion n’est pas constitutif de calomnies, quand bien même il se serait montré injuste ; que s’il est surprenant que M. V. estime que M. M. ne devrait pas lui dire bonjour quand il le croise et que ne pas lui répondre est de nature à favoriser l’apaisement recherché, ce manque de politesse ne peut déconsidérer que son auteur ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, au vu notamment des attestations faites par la directrice de l’établissement, que cette attitude aurait des conséquences négatives sur l’exercice de la kinésithérapie au sein de cet établissement, ou sur les conditions dans lesquelles M. M. peut prendre en charge les patients dont il s’occupe »
Si en l’espèce il n’a pas été caractérisé de manquement à la considération qui doit être portée à la profession, il n’en demeure pas moins que la responsabilité du professionnel de santé pourrait être recherchée sur le terrain du dénigrement.
Le dénigrement et la calomnie
Que ce soit entre professionnels de santé de même spécialité ou non, il est interdit de « calomnier, médire ou se faire l’écho de propos capables de nuire dans l’exercice de la profession ».
Pour les infirmiers, cette interdiction est prévue entre confrères par l’article R. 4312-25 du Code de la Santé Publique, et R. 4312-28 à l’égard des autres professionnels de santé. Pour les masseurs-kinésithérapeutes, elle ressort des articles R. 4321-99 et R. 4321-110.
Cette obligation relève du devoir général d’entretenir des relations de bonne confraternité, et sa sanction implique une volonté de nuire au professionnel visé, allant dès lors au-delà de la simple critique (CDN 20 juin 2023 n°061-2022, CA LYON 30 avril 2024 n°22/03682).
A ainsi été exonéré de toute responsabilité disciplinaire le masseur-kinésithérapeute (CDPI Lor, 4 octobre 2010 n°2009-013) :
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et des dires de l’audience, que dès l’année 2003, M. Philippe D connaissait M. Pierre M, alors assesseur à la SASCROM, suite à une plainte déposée par la CPAM de xxxxxx à l’encontre de M. Phiilippe D ; que toutefois, aucun élément au dossier ne permet d’affirmer que M. Philippe D a fait l’objet de calomnie, de médisance ou que M. Pierre M, à titre personnel, se soit fait l’écho de propos propres à nuire au plaignant ; que par suite aucun de ces faits ne justifie le prononcé d’une sanction à son encontre. »
La Chambre Disciplinaire Nationale de l’Ordre Infirmier a également eu l’occasion récente d’infirmer la condamnation d’une IDEL qui, suite à un contrôle de sa facturation ; avait saisi plusieurs personnalités politiques « ses reproches sur la conduite des contrôles du service du contrôle médical » par des propos qualifiés de « vifs, voire inappropriés et inadéquats ».
Sur plainte du médecin-conseil ayant mené le contrôle, l’infirmière est condamnée en première instance, mais sa condamnation sera finalement annulée par la Chambre Disciplinaire Nationale qui relèvera que « pour maladroite et inélégante » qu’elles soient, ses missives ne contenaient pas de propos susceptibles de nuire au médecin conseil dans l’exercice de sa profession. Dans ces conditions, l’IDEL, « qui n’a fait qu’exercer –même avec maladresse- la liberté d’expression qui appartient à toute personne y compris professionnel de santé, et à qui il appartenait en tout état de cause de mieux diriger sa critique juridique en saisissant utilement les voies de droit, n’a pas commis de manquement caractérisé aux règles déontologiques » (CDN, 17 mars 2023).
Dans cette affaire, la déconsidération était également écartée par la Chambre Disciplinaire Nationale, dans la mesure où les lettres étaient adressées directement à des personnalités, mais non rendues publiques. Aucune infraction à l’article R. 4312-9 du Code de la Santé Publique n’était donc retenue.
En revanche, la remise en cause des compétences d’un médecin par un infirmier, à haute voix et devant les patients, constitue un manquement au devoir de bonne confraternité interprofessionnelle (CDPI PACA CORSE, 28 déc. 2018, n° 18-015).
La prudence dans la présentation de techniques nouvelles
L’article R. 4312-47 du Code de la Santé Publique enjoint aux infirmiers de « ne pas diffuser dans les milieux professionnels ou médicaux une technique ou un procédé nouveau de soins infirmiers insuffisamment éprouvés sans accompagner cette diffusion des réserves qui s’imposent. »
L’interdiction du charlatanisme est également reprise par le Code de Déontologie des masseurs-kinésithérapeutes à l’article R. 4321-87 du Code de la Santé Publique :
« Le masseur-kinésithérapeute ne peut conseiller et proposer au patient ou à son entourage, comme étant salutaire ou sans danger, un produit ou un procédé, illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite. »
Ainsi, « l’apologie, par un ouvrage, des interviews et des conférences et, pendant un temps, sur un site internet, d’une méthode thérapeutique, dénommée « thérapie quantique intégrative », non fondée sur les données acquises de la science, et la pratique de cette méthode dans les locaux de kinésithérapie » justifie la condamnation des masseurs-kinésithérapeutes (CE, 09 novembre 2018, n° 417877).
La question s’est également posée non sans bruit à l’occasion de la pandémie de COVID-19, s’agissant de la promotion de l’hydroxychloroquine par le Dr Didier RAOULT, condamné pour charlatanisme le 3 décembre 2021.
Si la liberté d’expression est garantie aux IDEL, KINEL et autres professionnels de santé comme fondamentale, elle n’est toutefois pas sans limite. La difficulté réside dans le fait que les abus sont définis au terme d’une appréciation au cas par cas par la jurisprudence, et que les fondements juridiques pouvant appuyer des poursuites sont nombreux.
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