La question de savoir si un contrat va réellement protéger les IDEL / KINEL signataires nous est régulièrement posée. En effet nombre de ces professionnels de santé doivent faire face au non-respect du contrat signé par leur cocontractant, et se sentent démunis dans une situation qu’ils estiment injuste et sans issue.
Or, le sentiment de subir une situation imposée par son/sa collègue n’a de raison d’être que si le contrat a insuffisamment anticipé les problématiques pouvant être rencontrées dans le cadre de l’activité professionnelle. Modalités de rupture du contrat, sort de la patientèle, clause de non-concurrence… l’appréhension des différents évènements pouvant jalonner une relation contractuelle constitue la première clé pour un contrat efficace. Il faut ainsi que le contrat soit suffisamment précis pour englober l’ensemble des situations pouvant émerger, mais également suffisamment souple pour trouver une application concrète. C’est ainsi que la force obligatoire du contrat prend tout son sens.
En quoi un contrat est-il contraignant ? Quelle est sa valeur ?
L’ article 1103 du Code Civil prévoit que :
« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »
Cette disposition traduit ce que l’on appelle la force obligatoire du contrat, ce qui signifie que la conclusion d’un contrat oblige chaque contractant à en respecter les termes, autant que s’il s’agissait d’une loi.
L’article 1104 ajoute que :
« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d’ordre public. »
Les engagements pris par le contrat doivent être scrupuleusement observés par chacune des parties, la mention « d’ordre public » signifiant que ni l’une ni l’autre ne peut en être dispensée.
Toute modification du contrat après sa signature suppose ainsi l’accord des deux parties. C’est ce que l’on appelle l’intangibilité du contrat, qui s’impose au Juge lui-même. S’agissant des professions règlementées comme celle d’infirmier ou de masseur-kinésithérapeute, cela implique que ni le Conseil de l’Ordre ni les Chambres Disciplinaires ne peuvent modifier les termes d’un contrat conclu entre IDEL ou KINEL.
En revanche, et par conséquent, le Juge pourra faire sanctionner la violation du contrat. Pour cela, il demeure toutefois indispensable que les obligations respectives des parties soient suffisamment précises, afin d’assurer une véritable efficacité au contrat.
En effet, comment sanctionner le non-respect d’une clause contractuelle, si celle-ci ne détermine pas clairement l’engagement pris ?
Quelles est la sanction du non-respect d’un contrat ?
L’article 1217 du Code Civil prévoit que :
« La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :
– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
– obtenir une réduction du prix ;
– provoquer la résolution du contrat ;
– demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter. »
Le refus d’exécuter ou la suspension de l’exécution de sa propre obligation recouvre ce que l’on appelle « l’exception d’inexécution ».
Ainsi, le non-respect du contrat par l’une des parties permet à l’autre de se dispenser réciproquement de ses obligations. Il est toutefois important de recourir à l’exception d’inexécution avec prudence. En effet, pour être valablement mise en œuvre, il faut qu’il existe une certaine gravité.
Les articles 1219 et 1220 du Code Civil prévoient que :
« Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »
« Une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »
La Cour de Cassation estime de façon constante qu’« une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. » (Cass. soc. 21 octobre 1954, Bull. civ. IV, n°613)
Là encore, il faudra donc prouver clairement à quoi était tenu le cocontractant, et en quoi son manquement a eu des conséquences graves.
Il faut également prendre garde à ne pas engager sa responsabilité vis-à-vis des tiers. Par exemple, le fait que votre remplaçant ne réalise pas les jours auxquels il s’était engagé ne vous exonère pas de votre obligation de continuité des soins envers les patients, qui ne sont pas parties au contrat de remplacement. Il faudra donc que le KINEL ou l’IDEL titulaire assume les soins, quitte à se retourner ensuite contre le remplaçant pour faire sanctionner sa défaillance.
Attention enfin, l’exception d’inexécution ne met pas fin au contrat ! Il faudra donc le rompre, par accord avec l’autre partie, ou par l’intervention du Juge Judiciaire.
L’exécution forcée permet de contraindre le contractant défaillant à réaliser son obligation.
Elle est prévue par l’article 1121 du Code Civil :
« Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier. »
Toutefois, cette sanction suppose que l’exécution forcée soit possible, ce qui n’est par exemple pas le cas en cas de refus de travailler. Si votre confrère, remplaçant, collaborateur ou associé cesse de travailler, il sera évidemment impossible de l’y forcer ! En revanche, l’exécution forcée sera possible pour le paiement d’une dette par exemple.
La réduction du prix peut être demandée par le débiteur, mais reste subordonnée à l’accord du créancier, même si c’est celui-ci qui est défaillant. A défaut, il faudra la solliciter du Juge.
Cette faculté est prévue par l’article 1123 du Code Civil :
« En cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix. L’acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit.
Si le créancier a déjà payé, à défaut d’accord entre les parties, il peut demander au juge la réduction de prix. »
Ainsi, même s’il est défaillant, le cocontractant devra donner son accord à la réduction de prix. A défaut, le créancier devra la solliciter auprès du Juge Judiciaire.
La résolution du contrat désigne sa rupture.
En effet en vertu du principe d’intangibilité des contrats, une partie ne peut pas, sans l’accord de l’autre, rompre le contrat. Seul le Juge Judiciaire (et non les Ordres professionnels ou les Chambres Disciplinaires) dispose de cette faculté.
Selon l’article 1124 du Code Civil :
« La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice. »
La clause résolutoire reste toutefois un mécanisme intéressant en ce qu’elle permet d’anticiper la rupture du contrat en cas de manquement par l’une des parties à ses obligations, et ce sans avoir besoin de recourir au Juge. De ce point de vue encore, la rédaction personnalisée et attentive d’un contrat reste le meilleur moyen d’en assurer l’efficacité.
A défaut, la rupture unilatérale par une seule des parties se fera « à ses risques et périls », c’est-à-dire que si elle est contestée par l’autre partie, l’IDEL ou le KINEL ayant rompu le contrat pourra être sanctionné, même si cette rupture était motivée par l’inexécution de ses engagements par l’autre partie.
Il s’ensuit que, pour se protéger, il est indispensable de rédiger très rigoureusement les clauses de rupture au sein de vos contrats, afin de ne pas se voir reprocher leur mise en œuvre !
La réparation des conséquences de l’inexécution consiste à dédommager le contractant qui a subi la défaillance de son confrère.
L’article 1231-1 du Code Civil prévoit que :
« Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »
Concrètement, l’IDEL ou le KINEL qui n’aura pas respecté sa part du contrat devra indemniser son cocontractant pour le préjudice causé en lui versant des dommages et intérêts. Il est alors primordial de pouvoir déterminer le montant de cette indemnisation, notamment avec l’aide d’un professionnel du droit.
Là encore, une indemnisation forfaitaire peut être prévue au contrat, appelée « clause pénale ». Cette faculté est offerte par l’article 1231-5 du Code Civil, mais suppose une rédaction minutieuse de votre contrat pour être véritablement efficace. En effet, il faut que ses conditions de mise en œuvre soient claires, et que son montant soit proportionné. En revanche, bien rédigée, cette clause permet de se garantir une indemnisation en cas de violation du contrat par votre cocontractant.
La clause pénale peut être intégrée à tout type de contrat, par exemple à un contrat d’exercice en commun conclu entre IDEL.
Au regard du panel de solutions exposées ci-avant, il est primordial de comprendre que l’IDEL / KINEL subissant la défaillance de son cocontractant est loin d’être démuni. Le contrat constitue bien un outil protecteur, mais cela suppose en amont d’avoir travaillé le contenu et l’articulation de ses clauses, afin d’en assurer l’efficacité.
Quelles formalités dois-je mettre en œuvre pour faire sanctionner la violation du contrat ?
Avant toute mise en œuvre de sanction, et notamment avant de pouvoir rompre le contrat, il faut que l’IDEL ou KINEL défaillant ait été alerté sur les manquements qui lui sont reprochés, et invité à y remédier par le biais d’une mise en demeure.
Selon l’article 1344 du Code Civil :
« Le débiteur est mis en demeure de payer soit par une sommation ou un acte portant interpellation suffisante, soit, si le contrat le prévoit, par la seule exigibilité de l’obligation. »
Là encore cette disposition met en lumière l’importance d’élaborer soigneusement son contrat, puisque les clauses de celui-ci peuvent dispenser le créancier de mise en demeure, et ainsi s’épargner des situations bien inconfortables… outre des délais plus longs !
A défaut, il faudra notifier par écrit les griefs que l’on oppose à son cocontractant, et lui laisser un délai pour adopter un comportement conforme. S’il corrige son comportement, la rupture du contrat ne sera alors plus envisageable.
Néanmoins, certaines situations permettent d’éluder la mise en demeure préalable, même dans le silence du contrat :
- La suspension, par le créancier, de ses obligations dans le cadre de l’exception d’inexécution (Cass. com., 27 janvier 1970) : Attention, la suspension doit malgré tout être notifiée.
- L’urgence à rompre le contrat : Là encore, attention, car la rupture se fait alors aux risques et périls du créancier, qui pourra être son sanctionné si la rupture est considérée comme abusive.
- Lorsqu’il résulte des circonstances que la mise en demeure est vaine : Cette position a été consacrée par la Cour de Cassation dans un arrêt du 10 octobre 2023 (n° 20-21.579) qui considère que s’il est évident que la mise en demeure ne conduira pas le débiteur à s’exécuter, le créancier en est dispensé. Toutefois, cette possibilité doit être scrupuleusement évaluée au préalable, par un professionnel du droit à même de vous conseiller sur son opportunité.
Le meilleur moyen d’être bien protégé par un contrat, demeure donc de l’avoir établi avec soin au départ. Non seulement afin qu’il corresponde aux attentes de chaque partie (ce qui est primordial puisqu’elles devront le respecter ensuite au même titre qu’une loi), mais également pour qu’il joue son rôle contraignant par la suite. Les règles en la matière sont nombreuses et complexes, et seul un professionnel sera à même de vous accompagner dans la rédaction d’un contrat valide, et de vous proposer les solutions les plus adaptées à vos besoins.
Le Cabinet Bolzan Avocats, spécialisé dans les problématiques des IDEL et KINEL, élabore avec vous vos contrats d’exercice de manière personnalisée (contrat d’exercice en commun, collaboration libérale, statuts de SCM, SELARL…). Notre connaissance pointue des problématiques concrètes que vous rencontrez dans le cadre de votre activité professionnelle nous permet d’appréhender les différentes situations que vous pouvez rencontrer, ainsi que les problématiques liées. C’est ainsi que nous parvenons à vous proposer, au terme d’un processus collaboratif, un contrat clair, précis et adapté à votre exercice professionnel.
Notre équipe vous accompagne également en cas de litige relatif à un contrat, afin de vous permettre d’obtenir une sanction efficace. Contactez-nous.