La qualification judiciaire de l’exercice de la profession d’infirmière

Toute forme d’exercice en groupe nécessite la rédaction d’un contrat écrit, et ce qu’il s’agisse de travailler dans le cadre d’une collaboration libérale, ou d’une association. L’absence de contrat (ou un contrat mal rédigé) peut s’avérer lourde de conséquences.

En l’absence de contrat, aucune règle n’aura été posée avec ses collègues et il est prévisible que des questions n’aient pas été abordées en amont de l’exercice. Il s’agit d’un premier facteur de risque contentieux, encore accru par le fait qu’en l’absence d’écrit, même le meilleur accord du monde aura du mal à être prouvé en cas de litige !

En cas de désaccord, les parties n’auront alors d’autre choix que de recourir aux Tribunaux. Les Juges se livreront alors à une analyse concrète des faits et de l’organisation entre les parties, pour qualifier juridiquement leur situation, et ce peu importe l’intitulé et les clauses du contrat que les parties auraient pu signer.

La qualification judiciaire intervient essentiellement dans deux hypothèses :

  • Pour contester la réalité d’une collaboration libérale : que se passe-t-il en cas d’absence de contrat de collaboration libérale ?
  • Pour caractériser une association entre IDEL : que se passe-t-il en cas d’absence de contrat d’exercice en commun ou d’association ?

Le présent article présente la première hypothèse. La seconde sera développée dans un second article. Nous tâcherons pour chaque cas d’en détacher les idées reçues et d’en retenir les risques.

Infirmière libérale : exercer sans contrat de collaboration libérale

L’absence de tout lien de subordination entre le collaborateur et le titulaire est l’élément central de la collaboration. En effet, à défaut la relation pourra être requalifiée en salariat.

La jurisprudence retient de façon constante que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elle sont donné à la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle ; qu’elle repose sur un lien de subordination caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».

En matière de collaboration, l’absence de lien de subordination s’analyse en particulier au travers de la possibilité pour le collaborateur de développer sa patientèle personnelle. L’article 18 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 dispose que le contrat de collaboration doit, à peine de nullité, « prévoir Les conditions d’exercice de l’activité, et notamment les conditions dans lesquelles le collaborateur peut satisfaire les besoins de sa clientèle personnelle ». Plus qu’une description détaillée (qui pourrait d’ailleurs s’avérer contre-productive !) il s’agit surtout de ne pas laisser transparaître, au sein du contrat, d’entrave quelconque au développement et à l’exploitation par le collaborateur de sa patientèle personnelle (eu égard par exemple à la description du temps de travail ou aux moyens mis à disposition, etc).

Pour autant, les juges s’attacheront systématiquement, en cas de contestation, à analyser les conditions réelles d’exercice du collaborateur.

L’exemple du contrat « d’assistant-collaborateur » est particulièrement éclairant.

Le contrat dit « d’assistant-collaborateur », élaboré par les masseurs-kinésithérapeutes, a précisément pour objet de placer le collaborateur dans les conditions de l’exercice libéral, mais avec l’interdiction de développer une patientèle personnelle (ce qui a amené le Conseil de l’Ordre Infirmier à se positionner contre le recours à ce type de contrat qui, précisément, prive la collaboration de son élément fondamental et suggère un lien de subordination).

Pour autant, en dépit de la conclusion d’un tel contrat a priori contradictoire avec la collaboration libérale, les Juges s’attachent à l’analyse des conditions concrètes dans lesquelles le collaborateur a été mis à même d’exercer et la qualification de collaboration libérale peut valablement prospérer (Par exemple : Cass. Soc., 16/09/2009 s’agissant d’IDEL ; également Cass. Soc., 29/01/2014 s’agissant de masseurs-kinésithérapeutes).

D’autre part, il ne faut pas confondre nullité et requalification du contrat. En effet un contrat de collaboration nul n’implique pas nécessairement qu’il s’agisse d’une relation de travail de type salarié. Si aucun lien de subordination n’est caractérisé, les juges pourront parfaitement estimer que les conditions d’exercice répondaient à la définition de la collaboration libérale. La Cour de Cassation a même eu l’occasion de qualifier de collaboration libérale la relation de travail nouée entre deux masseurs-kinésithérapeutes, sans le moindre contrat écrit et alors que le titulaire avait clairement affiché rechercher un « assistant-collaborateur ».

La requalification de la collaboration en contrat de travail est particulièrement lourde de conséquences puisqu’elle oblige le titulaire – promu employeur – à toutes les obligations liées à l’embauche d’un salarié : paiement des charges sociales, d’éventuelles heures supplémentaires et/ou primes, indemnité de fin de contrat, dommages et intérêts, voire amende pour travail dissimulé si une intention frauduleuse est retenue à l’encontre de l’employeur…

Pour exemple, une infirmière libérale a été condamnée en appel au paiement des sommes suivantes à son ancienne collaboratrice :

  • dommages et intérêts pour requalification du contrat : 3 000 €,
  • dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 20 000 €,
  • préavis : 12 318 €,
  • congés payés sur préavis ; 1 231 €,
  • dommages et intérêts pour méconnaissance du droit à la formation : 300 €.

Sommes auxquelles s’ajoutent donc les charges dues aux organismes sociaux.

Cet arrêt a finalement été cassé par la Cour de Cassation (Cass. Soc., 12 juin 2004, n° 13-16753).

La nullité n’emporte pas les mêmes conséquences. Un contrat nul signifie qu’il n’a jamais existé. Il faut donc remettre les parties en l’état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat. Dans le cadre de la profession d’infirmière libérale, il a été jugé – en appel – que la nullité emportait donc l’obligation pour la titulaire de restituer l’ensemble des redevances perçues par la collaboratrice, et réciproquement pour la collaboratrice… l’intégralité des honoraires perçus durant la collaboration ! Cette solution, particulièrement sévère pour la collaboratrice, a été censurée par la Cour de Cassation, qui retient que la prestation de la titulaire – soit la mise à disposition des locaux, la gestion et la présentation de la clientèle – doit être évaluée et la collaboratrice condamnée à l’en indemniser, mais en conservant les honoraires issus de son travail (Cass. Civ. 1ère., 2 juill. 2014, n° 13-17352).

Il est enfin à noter que si la requalification d’une collaboration en salariat est une hypothèse rare, il est encore plus rare de voir requalifier en collaboration un autre type de relation. Contrairement à une idée assez répandue, le contrat de remplacement ne se mue pas en collaboration s’il s’inscrit dans la durée. La « collaboration déguisée », terme souvent utilisé pour décrire un remplacement dont la durée laisserait supposer qu’une collaboration libérale serait plus appropriée à la situation de faits, fait plus figure de chimère que de réalité. La Cour de Cassation a d’ailleurs eu l’occasion de le confirmer sans ambiguïté (sur les caractéristiques du remplacement et sa distinction avec la collaboration, nous vous invitons à consulter notre article S’installer en libéral – Choisir son mode d’exercice).