Par principe tout individu est libre de disposer de ses biens, il s’agit là pour chacun du droit de disposer librement de son patrimoine. C’est ainsi que chacun peut prévoir, du temps de son vivant, de léguer ses biens aux personnes de son choix après son décès. Qu’en est-il d’un patient ayant désigné un soignant (IDEL, professionnel de santé) comme héritier ?

L’article 895 du code civil nous dit :

« Le testament est un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n’existera plus, de tout ou partie de ses biens ou de ses droits et qu’il peut révoquer ».

Mais comme tout principe, il comporte des exceptions !

Les héritiers réservataires

C’est dans le cadre d’une succession justement que les limites à ce droit viennent s’exercer.

C’est notamment l’existence de ce que l’on appelle les héritiers réservataires qui vient imposer une limite au droit de disposer de ses biens.

Il s’agit ici des enfants et du conjoint du défunt qui disposent d’un minimum de droits et qui ne peuvent être déshérités.

Il n’est donc pas possible de les exclure d’une succession.

En dehors des héritiers réservataires, d’autres limites sont-elles posées ?

Le cas des professionnels de santé

L’article 909 du code civil prévoit que :

« Les docteurs en médecine ou en chirurgie, les officiers de santé et les pharmaciens qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie ».

En d’autres termes, un patient ne peut pas léguer ses biens au professionnel de santé l’ayant accompagné dans la maladie de laquelle il est décédé.

C’est pour éviter toute dérive et pour assurer la protection des patients que cet article s’est imposé dans le milieu de la santé.

Pourtant, une atténuation a été apportée le 12 mars 2021 puisque l’interdiction de legs entre une personne et son aide à domicile a été abrogée.

Dans cette décision, le Conseil Constitutionnel a considéré que « le seul fait que ces tâches soient accomplies au domicile des intéressés et qu’elles contribuent à leur maintien à domicile ne suffit pas à caractériser, dans tous les cas, une situation de vulnérabilité des personnes assistées à l’égard de ceux qui apportent cette assistance ».

On s’est donc s’interrogé sur le fait que cette abrogation s’étende aux infirmiers libéraux.

Un IDEL peut-il hériter des biens de son patient ?

Cette question s’est posée à l’occasion d’une affaire qui a fait grand bruit ces dernières années.

Une infirmière libérale avait reçu un legs de 870.000,00 € en biens mobilier et immobilier d’une patiente sur laquelle elle prodiguait des soins avant son décès.

Le frère seul successeur de la patiente contestait celui-ci.

Dans cette affaire, l’infirmière était également une amie de longue date de la patiente et lors de la rédaction du testament, ni l’infirmière ni la patiente n’avaient connaissance du caractère malin de la maladie dont souffrait cette dernière.

Le Tribunal et la Cour d’appel avaient alors donné raison à l’infirmière libérale, et l’IDEL a pu recevoir l’héritage légué par la patiente. Mais, le frère successeur est allé au bout du processus juridique.

C’est ainsi que la Cour de cassation a déposé une question prioritaire de constitutionnalité afin de savoir si l’article 909 du code civil était conforme à la Constitution.

En réponse, le Conseil Constitutionnel retient que l’article 909 est fondé sur la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve le donateur ou le testateur à l’égard de celui qui lui prodigue les soins et que cet article est donc parfaitement proportionné à l’objectif recherché visant à éviter toute captation d’héritage et ce, même si le patient ne souffre d’aucune altération de son consentement.

Le Conseil Constitutionnel déclare donc l’article 909 du code civil conforme à la Constitution, par décision du 29 juillet 2022.

En conséquence, les infirmiers libéraux restent bien concernés par l’article 909 du code civil et ne peuvent recevoir de legs d’un patient.

L’interdiction de legs entre patients et professionnels de santé est-elle totale ?

Assurément non.

A la lecture de l’article 909 du Code Civil et de la dernière décision du Conseil Constitutionnel, il apparaît que le legs est interdit entre patients et soignants uniquement sous deux conditions :

  • Cela ne vaut que pour les legs consentis durant la maladie dont est décédé le patient,
  • Le professionnel de santé doit avoir dispensé des soins en lien avec la maladie dont le patient est décédé.

Il en découle que si le professionnel de santé (IDEL, médecin…) n’est pas intervenu pour des soins prodigués dans le cadre de la maladie dont le patient est décédé, le legs est alors parfaitement valable.

Il en est de même du legs consentis par un patient en dehors de toute maladie ayant entraîné son décès.

Notre cabinet s’interroge également sur la vulnérabilité des patients retenue par le Conseil Constitutionnel. En effet, il ne peut être déduit de la maladie que celle-ci entraîne nécessairement une particulière vulnérabilité chez le patient, et il semble il y avoir là matière à débat…

Faites-vous accompagner par un avocat

En conclusion, le legs entre patients et soignants est possible mais encadré ! Si vous êtes confrontés à une telle situation, nous vous invitons à vous renseigner afin d’éviter toutes difficultés juridiques et à vous faire accompagner dans le processus de contestation en cas de legs reçu d’un patient.

Les avocats du Cabinet Bolzan Avocats, formés en Droit de la Famille et aguerris aux problématiques rencontrées par les professionnels de santé vous accompagnent et vous conseillent dans vos démarches, tant en amont pour éviter toute problématique juridique, qu’en cas de contentieux rencontré avec vos patients, vos instances professionnelles ou d’autres professionnels de santé.