Depuis quand le salariat entre IDEL est possible ?

Jusqu’à l’arrivée du Code de Déontologie des Infirmiers, l’article R. 4312-48 du Code de la Santé Publique interdisait formellement le salariat entre IDEL :

L’infirmier ou l’infirmière ne peut, dans l’exercice de sa profession, employer comme salarié un autre infirmier, un aide-soignant, une auxiliaire de puériculture ou un étudiant infirmier.

En 2016, amenée à donner son avis sur le projet de Code de Déontologie, l’Autorité de la Concurrence soulignait l’importance de l’exercice en groupe pour les infirmières et infirmiers libéraux, dont les avantages sont également valables pour le salariat (Avis n° 16-A-11 du 11 mai 2016 relatif à un projet de décret portant code de déontologie des infirmiers) et se prononçait en faveur de son admission entre IDEL, à l’instar des médecins libéraux.

C’est ainsi que depuis l’arrivée du Code de Déontologie des Infirmiers par le décret n° 2016- 1605 du 25 novembre 2016, cette prohibition a disparu, et l’article 12 de l’avenant n° 6 (Avenant n° 6 à la convention nationale organisant les rapports entre les infirmiers et l’assurance maladie signée le 22 juin 2007) du 13 juin 2020 est venu préciser les conditions particulières d’exercice des salariés des infirmiers libéraux :

L’infirmier, qui souhaite exercer en tant que salarié d’un confrère libéral exerçant dans le cadre de la présente convention, effectue ses démarches auprès de la caisse de rattachement de son lieu d’exercice pour se faire enregistrer.

L’infirmier salarié d’un confrère placé sous le régime de la présente convention est tenu de transmettre à sa caisse de rattachement :

  • la copie de son diplôme d’Etat d’infirmier,
  • son numéro d’inscription à l’ordre des infirmiers,
  • l’adresse du lieu d’exercice dans lequel il assure son activité en qualité de salarié,
  • le nom et la qualification de son employeur,
  • l’indication de son propre numéro d’immatriculation à la sécurité sociale.

L’infirmier salarié d’un confrère libéral placé sous le régime de la présente convention est également tenu de se conformer aux règles suivantes :

  • conclure un contrat de travail,
  • justifier auprès de l’organisme local d’assurance maladie de rattachement d’une activité professionnelle de dix-huit mois, soit un total de 2 400 heures de temps de travail effectif, dans les six années précédant l’exercice en tant que salarié d’un confrère libéral et avoir réalisé cette activité professionnelle dans un établissement de soins, une structure de soins ou au sein d’un groupement de coopération sanitaire tels que définis à l’article 8 A. « Principes » du présent texte.

L’infirmier salarié d’un confrère libéral est tenu de communiquer à l’organisme local d’assurance maladie son contrat de travail ou la déclaration préalable à l’embauche.

L’infirmier titulaire du cabinet vérifie que l’infirmier salarié remplit bien toutes les conditions nécessaires à l’exercice du salariat dans le cadre de la présente convention. Il s’engage à porter à la connaissance de l’infirmier salarié les dispositions de la présente convention qui s’appliquent aux salariés et à l’informer des droits et obligations qui s’imposent à lui dans ce cadre.

L’infirmier salarié ne peut exercer auprès d’un infirmier déconventionné, un infirmier interdit d’exercice ou de donner des soins aux assurés sociaux.

Les paragraphes C et D de l’article 8 sont également applicables aux infirmiers salariés.

Concernant les cas particuliers, nécessitant une expérience complémentaire de douze mois en équipe de soins généraux dans les six dernières années, la durée d’exercice dans les six ans précédant la demande de salariat, réalisée hors équipe de soins généraux ou groupement de coopération sanitaire, est réduite à dix-huit mois. De même, dans les douze ans précédant la demande, la durée d’exercice en équipe de soins généraux ou groupement de coopération sanitaire requise est de dix-huit mois pour les salariés.

Concernant les dérogations exceptionnelles, la procédure et ses conditions sont similaires aux demandes d’installation sous convention telles que prévues par le D de l’article 8.

Si l’infirmier ne justifie pas d’une expérience de dix-huit mois comme définie au A « Principes » de l’article 8 dans les six ans précédant sa demande, il complète son expérience professionnelle à concurrence des dix-huit mois.

L’activité du salarié est assimilée à celle du titulaire au regard de la facturation à l’assurance maladie. Les conditions de facturation des actes réalisés par les infirmiers salariés sont rappelées à l’article 17.3.

Chaque organisme local d’assurance maladie constitue, pour sa circonscription, un fichier assurant un recensement régulier du nombre d’infirmiers salariés de confrères libéraux exerçant sur le département. Ce fichier est transmis annuellement à la Cnam.

Le texte précise bien qu’il ne s’agît que d’un enregistrement auprès de la Caisse, et non du conventionnement de l’infirmier salarié, qui travaille sous le couvert du conventionnement de l’IDEL employeur. En zone surdotée, il est donc possible de s’adjoindre le concours d’un infirmier salarié sans avoir recours à la Commission Paritaire Départementale, ni besoin d’obtenir une place sur la zone au préalable, contrairement à un collaborateur ou un associé.

Comment salarier un infirmier ?

Jusqu’en 2016, il existait seulement 3 statuts pour exercer en libéral :

  • L’infirmier dit « titulaire », qui peut s’organiser autour d’une patientèle commune avec un ou plusieurs autres titulaires sous la forme d’un exercice en commun ou d’une société d’exercice (SCP ou SEL), ce que les IDEL désignent dans le langage courant une « association »,
  • L’infirmer collaborateur, qui exerce son activité d’infirmier libéral sur la patientèle du titulaire, et peut parallèlement développer sa patientèle personnelle,
  • L’infirmier remplaçant, qui intervient ponctuellement sur la patientèle de l’infirmier qu’il remplace (titulaire ou collaborateur) mais ne peut intervenir de manière régulière ni en même temps que l’IDEL remplacé.

Depuis le 25 novembre 2016 s’y ajoute donc l’infirmier salarié, l’infirmier libéral employeur n’ayant pas obligatoirement besoin d’être constitué sous forme de société. Attention, en cas de regroupement sous la forme d’un contrat d’exercice en commun, il est important de rappeler que ce type de contrat ne créant pas de structure juridique, le contrat de travail doit être signé par chaque IDEL titulaire si tous souhaitent embaucher, ou par une structure juridique créée communément.

Le contrat de travail doit être obligatoirement écrit et conforme aux dispositions de la convention collective applicable. A ce jour il n’existe pas de convention collective spécifique aux infirmiers libéraux. A notre sens, celle qui se rapproche le plus de l’exercice des IDEL est la Convention collective nationale de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile du 21 mai 2010 (SSIAD -IDCC 2941) qui prévoit notamment :

  • un repos compensateur de 5 % des heures travaillées
  • la prise en charge par l’employeur des frais de transport du domicile du salarié au domicile des patients
  • s’agissant du travail le dimanche : un repos compensateur de 45 % des heures travaillées

Il n’est toutefois pas obligatoire d’opter pour ce choix de convention collective.

L’IDEL doit en outre s’acquitter des obligations afférentes au statut d’employeur : mutuelle pour le salarié, paiement des charges sociales, médecine du travail, gestion en cas d’arrêt de travail, éventuel licenciement, paiement de l’assurance responsabilité professionnelle couvrant l’infirmier salarié…

Enfin, le salariat entre IDEL doit se conformer aux règles déontologiques encadrant la profession d’infirmière.

Il n’existe aucun texte limitant le nombre de salariés que peut embaucher un IDEL. Si l’on fait le parallèle avec le nombre de collaborateurs, il a été admis par la jurisprudence disciplinaire qu’aucune disposition relative aux infirmiers ne limite le nombre de collaborateurs dès lors que le respect de l’indépendance professionnelle n’est pas aliéné (CDNOI, 30 sept. 2015, n° 44-2014-00068).

En revanche, une limitation est posée par l’article R. 4312-76 du Code de la Santé Publique qui prévoit que :

La profession d’infirmier ne doit pas être pratiquée comme un commerce.

Toujours par assimilation avec la collaboration, il nous semble devoir être vigilant à ne pas recourir excessivement au salariat, la jurisprudence disciplinaire ayant notamment eu l’occasion de sanctionner « le recours à de nombreux remplacements et collaborations pour augmenter le chiffre d’affaires plus que pour répondre à des besoins de santé publique, les actes de nursing détournés en prestations d’aide-soignante et la refacturation de matériel à l’assurance maladie car ils entretiennent la confusion de la profession infirmière avec un commerce lucratif » (CDNOI 3 févr. 2020, n° 93-2019-00252).

Salariat entre IDEL et Déontologie

En raison du lien de subordination caractéristique du salariat, l’Ordre National des Infirmiers se montrait hostile à l’ouverture du salariat aux infirmiers libéraux, qu’il considérait comme s’opposant au principe d’indépendance.

Le lien de subordination se définit comme l’exécution du travail sous l’autorité de l’employeur qui peut donner des directives et des ordres, contrôler l’exécution du travail et sanctionner les manquements du subordonné (Cass. Soc. 13 nov. 1996, n° 94-13.187).

Reprenant l’exemple des médecins libéraux, l’Autorité de la Concurrence retenait au contraire dans son avis relatif au projet de Code de Déontologie des Infirmiers que l’exercice d’une profession libérale tenue à l’indépendance est loin d’être incompatible avec le salariat et que le lien de subordination qui encadre la relation du médecin salarié et du médecin employeur pour tout ce qui relève de l’organisation du travail et de la gestion du cabinet n’interfère en rien sur la relation du médecin salarié avec le patient, dans laquelle son indépendance est pleinement préservée.

En d’autres termes, pour concilier salariat et indépendance entre IDEL, il convient de garder à l’esprit que l’infirmier salarié est soumis aux directives de son employeur concernant l’organisation de son travail (lieu, horaires, etc…) mais conserve son indépendance dans l’accomplissement de ses actes professionnels (réalisation des soins, approche du patient…).

C’est ainsi que le Code de Déontologie garantit l’indépendance de l’infirmier salarié dans la réalisation de ses actes infirmiers en son article R. 4312-63 du Code de la Santé Publique :

L’infirmier, quel que soit son statut, est tenu de respecter ses devoirs professionnels et en particulier ses obligations concernant le secret professionnel et l’indépendance de ses décisions.

En aucune circonstance l’infirmier ne peut accepter, de la part de son employeur, de limitation à son indépendance professionnelle. Quel que soit le lieu où il exerce, il doit toujours agir en priorité dans l’intérêt de la santé publique, des personnes et de leur sécurité.

Le contrat de travail, à l’instar de tout autre contrat d’exercice, doit être communiqué au Conseil de l’Ordre Infirmier.

Salariat entre IDEL : facturation et rémunération

En tant que salarié, l’infirmier perçoit une rémunération forfaitaire, fixe, déterminée par son contrat de travail et conforme, notamment, aux dispositions de la convention collective applicable.

Il est rappelé que d’un point de vue déontologique, l’article R. 4312-64 du Code de la Santé Publique prévoit que :

L’infirmier salarié ne peut, en aucun cas, accepter que sa rémunération ou la durée de son engagement dépendent, pour tout ou partie, de normes de productivité, de rendement horaire ou de toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité ou à la sécurité des soins.

N’étant pas conventionné ni libéral, l’infirmier salarié ne facture pas ses actes à l’assurance maladie et ne les encaisse pas directement. C’est l’infirmier libéral employeur qui encaissera les honoraires, y compris ceux réalisés personnellement par l’infirmier salarié, qui attestera toutefois les avoir personnellement réalisés.

Dans les débats avec l’Autorité de la Concurrence, relatifs au projet de Code de Déontologie des Infirmiers, l’Ordre National des Infirmiers avait mis en avant que le salariat s’opposait aux règles conventionnelles en ce que seuls pouvaient être pris en charge et donner lieu à remboursement par l’Assurance Maladie, les actes réalisés personnellement par l’infirmier.

En réponse, l’Autorité de la Concurrence relevait que la facturation des actes pourrait parfaitement se faire de manière similaire à celle des médecins libéraux employant un médecin, c’est-à-dire par la mise à disposition par l’Assurance maladie de feuilles de soins portant l’identification du médecin salarié et du médecin employeur pour permettre au premier de signer personnellement les actes qu’il aura réalisés et au second d’attester du paiement des honoraires.

Somme toute, le système existant avec les infirmiers remplaçants, lesquels ne sont pas conventionnés et s’identifiaient via les feuilles de soin du remplacé.

C’est ainsi que les conditions de facturation ont été prévues à l’article 17.3 de l’avenant n° 6 :

  • les feuilles de soins ou les supports, sur lesquels sont portés les actes doivent permettre l’identification nominale et codée de l’employeur, suivie de l’identification de l’infirmier salarié.
  • l’employeur est identifié dans la rubrique réservée à l’identification de la structure et l’infirmier salarié est identifié comme exécutant de l’acte.
  • l’infirmier salarié atteste la prestation de l’acte et l’employeur le paiement des honoraires.
  • ils apposent respectivement leur signature dans la colonne réservée à l’exécution de l’acte et dans la colonne réservée à l’attestation du paiement des honoraires.
  • la signature de l’employeur sur la feuille de soins ou tout autre support engage sa responsabilité sur l’application, par l’infirmier salarié, des cotations de la nomenclature générale des actes professionnels et des tarifs en vigueur.

Embaucher un infirmier libéral : bonne au mauvaise idée ?

En zone surdotée, le salariat se présente aujourd’hui comme le seul moyen d’augmenter de manière pérenne la capacité humaine de son cabinet lorsque l’on ne trouve pas d’IDEL déjà conventionné sur le secteur avec qui s’associer ou conclure de contrat de collaboration. En effet, l’infirmier salarié travaillant sous le conventionnement de l’IDEL employeur, il peut librement intégrer une zone surdotée sans avoir besoin qu’un IDEL quitte au préalable la zone, ni d’obtenir une dérogation de la part de la CPD. Et, contrairement au remplaçant, le salarié peut exercer en même temps que l’IDEL employeur, et de manière régulière.

Rappelons que le remplacement est par essence temporaire et ponctuel, ce qui doit s’entendre par opposition à la régularité. Un recours régulier au remplacement, outre qu’il enfreint le Code de Déontologie des Infirmiers, expose l’IDEL remplacé à des poursuites par l’URSSAF notamment qui peut considérer qu’il s’agit d’un travail dissimulé voué à éluder le paiement des charges sociales.

Au-delà des conséquences financières extrêmement lourdes qu’une telle condamnation entraine, il s’agit d’une infraction pénale, qui peut également entraîner une interdiction d’exercer.

La possibilité de recourir au salariat rend donc d’autant plus risqué le recours régulier au remplacement par les IDEL, et force est de constater sur le terrain que ce type de poursuites est aujourd’hui une réalité qui doit inviter les IDEL, pour ou contre le salariat, à se renseigner à minima sur l’environnement juridique qui est le plus adapté à leur activité actuelle.

Le salariat peut aussi être vu comme une solution temporaire, par le recours à l’intérim ou au CDD, dans une zone en pénurie de remplaçants par exemple sur un arrêt de travail afin d’éviter une perte de patientèle ou une rupture de continuité des soins.
Comme pour toute question en droit, il n’existe pas de bonne ou mauvaise réponse universelle, et chaque situation mérite un examen individuel pour trouver la solution appropriée, en particulier dans la mesure où ce dispositif est extrêmement récent chez les infirmières et infirmiers libéraux, et que son application concrète nécessite des connaissances pointues et la maitrise des conséquences juridiques qui en découleront.

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